La Naissance du Philistin

Le Soleil se leva, ce matin-là, si terne,
Que l’on eût dit un « bren » au fond d’une citerne.
Ce n’était pas, comme on peut croire, au ciel brouillé,
Un soleil qui n’est point encor débarbouillé
Des brumes de la nuit, ni, non plus, une éclipse…
Les savants qui déchiffreraient l’Apocalypse,
En auraient informé depuis longtemps. Oh ! non,
Ce qu’on voyait était une chose sans nom :
Dans un ciel neutre, affreux, sans le moindre nuage,
Qui pût l’agrémenter d’un léger tatouage,
C’était un faux soleil qui sentait le malheur,
Une sorte d’œil mort, sans regard ni couleur.
Telle est, distincte à peine, en une mer confuse,
Une gélatineuse et livide méduse.
Et que se passa-t-il sur Terre, ce jour-là ?
Il se passa ceci, plus troublant que cela :
Le Laid, de tous côtés, surgit, impitoyable,
Comme si tout à coup prépondérait le Diable.
Le Faux singea le Vrai. La Loi se disloqua.
Le Droit, l’Humanité, la Justice… raca !
L’Art pur se comporta d’une façon absurde.
Êtres et Choses, tout devint Chinois ou Kurde.
De même, les enfants se présentèrent mal ;
Et tous offrirent un gabarit anormal,
Qui ne moururent point à peine mis au monde.
L’Amour délicieux devint banal, immonde.
La mère, en regardant son gosse, lui disait :
« — Tu es foutu comme un lion de Pertuiset [1]. »
L’Amitié ne voulut rien savoir, et l’Amante,
Aux regards de l’Amant cessa d’être charmante.
Ils n’échangèrent pas un baiser ce jour-là.
Et toute la douceur de vivre s’en alla.
Les plus clairs diamants se changèrent en ocres.
Les mieux chantants lyreurs firent des vers médiocres,
L’esprit clos brusquement à la flore des mots :
« Ah ! — disaient-ils — voilà bien le pire des maux !
Suis-je donc mort, Seigneur ? La pure et chaste flamme,
Qui brûlait pour le Beau, s’est éteinte en mon âme !
Pourquoi ce changement ? Qu’est-ce qu’on m’a volé ?…
Tout mon enthousiasme, hélas ! s’est envolé !
Je ne retrouve plus le sens de l’Harmonie,
Et je suis insensible aux œuvres du génie ! »

Et l’horreur s’étendit des villes aux hameaux.
Les pâtres, dans les champs, turent leurs chalumeaux ;
Cependant qu’autour d’eux, leurs ouailles pressées
« Semblaient se conformer à leurs tristes pensées. »
La Rose dédaigna de s’ouvrir, et le Lys
Périt d’ennui sur le sein même de Philis.
De même aussi, la nymphe antique, blanche et nue
Déserta les forêts et n’est plus revenue.
C’est depuis ce jour où tout alla de guingois,
Que finit ce beau temps que l’on nomme Autrefois.

Et pourquoi, direz-vous, cet excès de misère
Tomba-t-il, tout à coup, sur notre pauvre sphère ?
Pourquoi ce faux soleil ? Pourquoi l’Humanité
Chut-elle affreusement dans l’imbécillité,
De laquelle, d’ailleurs, s’il faut que l’on le die,
Elle n’est pas encore entièrement sortie ?
Pourquoi ce deuil universel ?… Eh bien, voilà :
Le Philistin naissait justement, ce jour-là.

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