Elegie d'amour, et de la Sidere de Jean Brinon

Du vieil Tithon la vermeille Compaigne
Epanissoit les fleurs de la campaigne,
Et les oiseaux degoisans dans les boys
Ses clairs rayons bienveignoient de leurs voix,
Lors que songeant à ma Nymphe divine,
Et aux tourmentz que l'Enfant d'Erycine
Me faict souffrir, doublement doulereux,
Je m'écartay dans un boys planteureux
De Myrtes bruns, où d'une bouche amere
Je deplorois et l'Enfant et la Mere,
Par lesquelz, las! un soing entenaillé
M'a tant de fois malement travaillé,
D'un noir ennuy me contraignant repaistre.
Mais à l'instant soubz l'umbrage senestre,
J'ouy douloir cét Archer éploré,
Comme un enfant de sa mere égaré;
Parquoy j'acours où sa plaincte me guyde,
Et le trouvay, qui d'une trace humide
Faisoit couler deux ruisseaux de ses yeux.
Je veiz son arc qui pendoit ocieux,
Et son carquois à la branche d'un arbre,
Luy souspirant si tristement, qu'un marbre,
Voyre le cueur d'un Tigre non dompté,
Eussent à coup comme luy lamenté.
Et non content de souspirs et de larmes,
Je vei ses mains commencer des alarmes
Contre son sein, le plombant de grans coups.
Je vei encor redoubler son courroux,
Et d'une main felonnement cruelle
Tirer son poil, et de l'une et de l'autre aesle
Les avirons dont il rame par l'air,
Lors qu'il luy plaist sur la terre voler.
Dieux! dis-je adoncq', cet Archer qui vous dompte,
Ce jeune Dieu que nul Dieu ne surmonte,
Doit-il ainsi par despit se donter,
Et forcenné soy mesme surmonter?
Ainsi me soit favorable sa flésche,
Comme il convient, ô Dieux, que je l'empesche.
Lors, tout poureux, et de vergoigne plain,
Bien humblement j'allay prendre sa main,
Et le prier, d'une parole basse,
Qu'ainsi cruel contre luy ne mesface;
Luy demandant encor l'occasion
D'une si dure et triste affliction.
Dès qu'il m'ouyt une œillade il me gette,
Et me cogneut, ayant de sa sagette
Jadis empraint dedans ma loyauté
Le vif portraict d'une rare beauté.
Si douloureux maintenant je lamente,
Dit-il adonc, et si je me tourmente
Comme tu voys tant outrageusement,
Las! je le faiz encor plus justement,
Voyant perir le bon heur de ma gloire,
Et terminer le cours de ma victoire,
Tout esperdu de ne pouvoir songer
Rien contre moy pour moy mesme venger:
Car d'une part tous ces doctes Poëtes,
Tous ces sacrez et divins interpretes
De ma grandeur, qui remplissoient le ciel,
La terre et l'eau des douceurs de mon fiel,
Sont ore en bas dessus la rive noire,
Et j'en voy, las! morte icy la memoire.
Plus ne sont leuz d'un Ovide les vers,
Plus ne sont veuz en pris par l'univers
Catulle, Galle et Properce et Tibulle,
Plus on n'entend les chansons de Marulle.
Tous sont esteintz, et le monde au jourd'huy
D'eux et de moy ne reçoit qu'un ennuy.
Mesmes encor cét Harpeur d'Italie,
Qui bâtissoit une neuve Idalye
Dans son terroir, ce Petrarque fameux
Passe et flestrit ce me semble comme eux.
Et tous ceux là qui les veulent ensuivre,
Ou qui, taschans de les faire revivre,
Chantent leurs vers, ne peuvent recevoir
Qu'un vil dedain pour un gentil devoir.
Je ne voy nul qui tant soit peu me prise,
Je ne voy nul qui plus me favorise;
Ains convoiteux d'agraver mon esmoy,
Tout est bandé, ce semble, contre moy.
D'autre cousté je voy ceste Sidere,
Dont les beautez font honteuse ma Mere,
Qui de ses yeux, auteurs de mille mortz,
Trop fierement resiste à mes effortz.
Et dedaignant et mon arc et ma trousse,
Me doubte moins quand plus je me courrousse,
De tell' façon que jamais je n'ay peu
La renflammer de l'ardeur de mon feu.
J'ay bien vaincu le fort Dieu de la guerre;
Mesme à celluy qui darde le tonnerre,
Ce puissant Roy des hommes et des Dieux,
J'ay faict souvent abandonner les cieux,
Se transformant, attaint de mon martire,
En cygne, en beuf, en pucelle et Satyre.
Pluton, Neptune et les Dieux de la mer,
Ont éprouvé mon venin doux-amer.
Bref il n'est rien en ce monde qui n'aye
Senty l'aigreur de l'amoureuse playe.
Mais quand je veux de Sidere approcher,
Et quelque traict sur elle descocher,
Jamais au vif ma fleche ne la touche;
Ainçois soubdain je voy qu'elle rebouche,
Je sens soubdain mes nerfz se desroidir,
Je sens mon sang soubdain se refroidir,
Mon poil dresser, mes puissances s'estreindre,
Mes desirs vains, et mes torches s'esteindre,
Voyre en tel point qu'il semble qu'un destin
Ait dessus moy conjuré quelque fin
Pour amortir le bon heur de ma gloire,
Et terminer le cours de ma victoire.
Ainsi, dolent, Cupidon se plaignoit,
Et de sanglotz sa plainte accompaignoit,
Entrerompant sa parole contrainte;
Quand je luy dy, delaisse ceste plainte,
Filz de Deesse, et pense desormais
Estre plus grand et plus fort que jamais;
Car tant s'en faut que tu deviennes moindre,
Ou que ton trait ne puisse encore poindre
Comme il souloit, que je vois en tous lieux
Priser tes faitz sur tous ceux-la des Dieux,
Et les autelz et portails de tes Temples
Environnez des despouilles plus amples.
Et bien que ceux qui jadis ont chanté
Les sainctz honneurs de ta divinité
Soient ore esteintz, et leur gloire deserte;
Ce non obstant ne regrette leur perte.
Car mon Ronsard, mon Phebus Vandomois,
Chante aujourdhuy des acordz de sa voix
Si dignement ta grandeur immortelle,
Que tu n'euz onq une gloire si belle,
Soit qu'il invente, ou qu'il pille des vieux
Les plus beaux traitz pour les portraire mieux.
Mais ce Ronsard, de qui la renommée
Florist par tout dans l'univers semée,
Ce grand Ronsard, ton grand Prestre tenu,
Te seroit-il, Cupidon, incogneu?
Luy qui contraint par les terres estranges
Les estrangers de chanter tes louanges,
Luy qui picqué vivement de tes dardz
Laisse pour toy les fureurs du Dieu Mars,
Et se plaisant en l'ardeur de sa flâme
Chante plutost les beautez de sa Dame,
Et les tourmentz des amoureux vaincuz,
Que les beaux faitz du filz d'Hector Francus;
Quoy qu'ardemment mon Roy le luy commande,
Et que de luy seulement il l'attende,
Impatient de veoir un œuvre tel,
Un des moyens pour le faire immortel.
La donc' Amour seiche toutes tes larmes,
Et plus joyeux repren' toutes tes armes,
Car ny ton nom, ny ton arc, ny ton heur,
Ne furent onc, plus qu'ilz sont, en honneur.
Quant aux durtez de cette ame severe,
De cette belle et rebelle Sydere,
Ne crains par là d'amoindrir ton renom;
Car s'il te plaist t'accoster de Brinon,
Qui sent pour elle ardemment ta secousse,
Toy de ton traict et luy de sa voix douce,
(Voix que Pithon et les neuf doctes Sœurs
Ont à-l'envy confite en leurs douceurs)
Vous la rendrez tout autant amoureuse
Qu'elle se monstre à-présent rigoureuse.
Et autrement, certain, je te promectz
Que son fier cueur tu ne poindras jamais;
Car luy, sans toy, ne peut ses feuz étaindre,
Et toy sans luy ne la sçaurois atteindre.
De ce conseil et de ce doux confort
Ce petit Dieu se contenta si fort
Qu'il me promist, pour digne recompense,
De me donnner bien tost la jouissance
De mon amour; puis me delaissant là,
Prenant ses traitz au ciel, s'en revola.
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