La journee de Javotte

Dans son grand lit rose
Aux nœuds de satin,
Depuis le matin
Javotte repose.

Souple comme un gant,
Vague comme un songe,
Frissonne et s’allonge
Son corps élégant.

Autour de ses hanches
Au contour léger,
Semblent voltiger
Mille roses blanches.

Sous ses cheveux d’or
À peine on devine
Sa tête divine,
Toute pure encor.

À quoi rêve-t-elle,
La naïve enfant ?
À quelque bouffant
De folle dentelle ;

À tant de mignons
Qui disent : « Je t’aime, »
Sans qu’on tienne même
À savoir leurs noms ;

À sa robe à queue ;
À son beau carlin ;
Peut-être au moulin
Qui battait l’eau bleue,

Au temps où, dit-on,
Fillette champêtre,
Elle menait paître
L’âne et le mouton !

Maintenant des perles
Brillent à ses doigts.
Adieu, dans les bois,
La chanson des merles.

Le lit de gala
Garde, en sa paresse,
Un air d’allégresse
Et de tralala.

Çà et là des ruches,
Des chiffons brodés,
Le cornet aux dés,
La cage aux perruches ;

Sous un cotillon
Une boîte à mouches,
De minces babouches
À la Cendrillon ;

Un bout de mitaine,
Des bas, un collier,
Don du chevalier
De la Pretantaine ;

Le cœur éploré,
Deux amants de Sèvres
Unissent leurs lèvres
De biscuit doré ;

L’empereur de Chine,
Heureux et vermeil,
S’esclaffe, un soleil
Au bas de l’échine,

Et tout à l’entour,
Fine comme l’ambre,
Rôde par la chambre
Une odeur d’amour.

II

Les heures légères
Passent en dansant ;
Tel un chœur décent
D’accortes bergères.

Un flot de galants
Accourt à l’offrande,
Et chacun demande
La belle aux seins blancs.

Écoliers imberbes
Comme des nonnains,
Géants, petits nains,
Cavaliers superbes,

Vieux beaux, obstinés
Diseurs de sornettes,
Avec des lunettes
Et la goutte au nez,

Gros financiers, dignes
D’être un jour pendus,
Moinillons dodus
Toujours dans les vignes,

Suppôts de la loi
En robes à traîne,
Pages de la Reine,
Écuyers du Roi,

Maîtres de musique
Experts en douceurs,
Graves professeurs
De métaphysique,

Tout ce monde rit,
Tourne, s’émoustille,
Babille, frétille,
Court après l’esprit.

Et voici vingt reîtres,
Armés jusqu’aux dents,
Qui font les fendants
Et parlent en maîtres.

Tous, jeunes ou vieux,
Ont même assurance ;
La même espérance
Flambe dans leurs yeux.

« Ô nymphe guerrière,
Toujours combattant,
Secoue, en chantant,
L’or de ta crinière.

« Jette-moi gaiment
Les fleurs de ta couche.
Je veux, sur ta bouche,
Mourir en t’aimant.

« Fais de ton esclave
Ce que tu voudras,
Je veux, en tes bras,
Mourir comme un brave. »

Et plus d’un juron
De France ou d’Espagne
Tout bas accompagne
L’amoureux ronron.

Mais la porte est close.
Chut ! chut ! pas de bruit !
Il fait encor nuit
Dans le grand lit rose.

III

Au soir cependant,
N’est-ce pas merveille ?
Javotte s’éveille,
S’éveille en boudant.

« Oh ! quelle existence !
Mieux vaudrait, je crois,
Seulette en un bois,
Faire pénitence.

« Bonsoir aux amours !
Je suis fatiguée
D’être toujours gaie,
De rire toujours.

« Que de sérénades
Et de beaux serments !
Que de compliments
Fades, fades, fades !

« Un printemps caché
Fleurit mon visage,
Et sous mon corsage
Amour est niché.

« Je suis plus jolie
Que le mois d’Avril ;
Chacun, paraît-il,
M’aime à la folie.

« Fi ! qu’on est moqueur
Au pays du Tendre !
Comment laisser prendre
Un peu de son cœur ?

« Viens donc çà, Nanon,
Petite servante ;
De ta main savante
Lisse mon chignon.

« Ma joue est blêmie ;
C’est quelque vapeur.
Suis-je à faire peur ?
Qu’en dis-tu, ma mie ?

« Et quoi de nouveau ?
Que dit-on en ville ?
— Monsieur de Saint-Gille
Pleure comme un veau.

« C’est à fendre l’âme ;
Il se meurt… — Bon, bon !
Foin de ce barbon !
Quoi de plus ? — Madame,

« Trois grands avocats
Débarquent du coche,
L’œil en fleur, la poche
Pleine de ducats.

— Fi ! je n’aime guère
Ces robins crottés.
— Alors, écoutez
Un homme de guerre.

« J’en connais plus d’un
Qui perdit la tête
En vous… — Grande bête,
Rien n’est si commun !

— Le sieur d’Amourette,
Votre beau cousin,
A fait un dizain
Sur votre levrette.

— Des vers ? ah ! Dieu non ;
La belle fadaise !
Sais-tu rien qui plaise ?
Cherche encor, Nanon. »

IV

Soudain, à la porte
On frappe en vainqueur.
« Eh ! c’est toi, mon cœur,
Le diable m’emporte !

« Entre donc, l’abbé,
Tu te fais attendre ;
Hâte-toi de prendre
Ta place au jubé ! »

En perruque blonde
Et petit collet,
Entre un prestolet,
Le plus gai du monde.

Jusqu’au bout des doigts
Mobile et fantasque,
C’est le petit masque
Le mieux fait qui soit.

Pas une dévote
N’a si fin caquet,
C’est le perroquet
De dame Javotte.

« Friande, bonjour,
Bonjour, ma déesse. »
La belle, en liesse,
Rit comme un amour.

Sous sa chemisette
Bouffante à dessein,
Pointe un bout de sein.
L’aimable amusette !

Et lui, folichon,
Dit cent bagatelles,
Fripe les dentelles,
Flaire le manchon.

Ô grâces câlines
Et tableau charmant !
Tous deux gentiment
Croquent des pralines.

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