Le Convoi de la Bien-Aimee

Lorsqu'il sera cloué, cet immense cercueil,
De mes ongles aigus j'ouvrirai ma poitrine
Et je t'en tirerai, surprenante héroïne !
Déjà j'ai revêtu les habits noirs du deuil.

Puisqu'ils sont terminés, les apprêts de mon deuil,
Ainsi qu'en un coffret doublé de sombre moire
Je prendrai dans mon cœur ce qui fut mon amour.
Et sur ce bel Eros, plus âpre qu'un vautour,
Stoïque, je fondrai sans pleur déclamatoire.

Stoïque, je prendrai sans cri déclamatoire,
Je prendrai ton doux nom et l'éclat de tes yeux,
Et le lustre insolent de ta peau mordorée,
Et le parfum exquis de ta bouche adorée,
Et ton baiser subtil, chaste et délicieux.

Je prendrai ton baiser chaste et délicieux,
Tes soupirs embaumés, tes serments et ces larmes
Claires comme un poison qui dort au sein des fleurs,
Et l'essaim agaçant des propos querelleurs,
Avec la lâcheté dont tu te fis des armes.

Aimable lâcheté qui lui donnais des armes !
Je prendrai le passé tout entier, nerfs et sang,
Ame, voix et senteurs, ô ma tendre maîtresse,
Et de tes noirs cheveux tortillant une tresse,
Sans pitié je lierai le spectre caressant.

Je te lierai, fantôme horrible et caressant ;
Puis quand ce sera fait, d'une allure très-fière
En long je coucherai le pâle souvenir
Et verrai le doux mort sans aucun repentir
Pour toujours étendu dans l'infrangible bière.

Quand il sera scellé dans la sinistre bière,
Je le ferai porter sur mon plus fin steamer,
Et sans me retourner vers la terre fatale,
Où le Destin stupide à plaisir me ravale,
Sur tes flots attirants je veux aller, ô mer !

Sur l'ennui de tes flots emmène-nous, ô mer !
Et je dépasserai les cercles du Tropique,
Dédaigneux des effrois issus des ouragans,
Des rocs et des typhons, des vents et des courants,
Et des écueils gelés de l'âpre pôle arctique.

Et je dépasserai l'horrible pôle arctique.
Alors, tirant du fond du rapide vaisseau
Ce qui fut autrefois le meilleur de moi-même,
Mon cœur et notre amour, douce beauté que j'aime,
Sur les bords du steamer je mettrai le fardeau.

J'appuierai sur le bord le macabre fardeau,
Et lorsque j'aurai vu du haut de la mâture
Accourir les requins aux parfums de ta chair,
Avec un haut-le-cœur, être adorable et cher,
Je pousserai gaiement l'aimable pourriture !

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