A monsieur de L... sur la mort de son pere

Ôte-toi, laisse-moi rêver.
Je sens un feu se soulever
Dont mon âme est toute embrasée.
Ô beaux prés, beaux rivages verts,
Ô grands flambeaux de l'univers,
Que je trouve ma veine aisée !
Belle Aurore, douce rosée,
Que vous m'allez donner de vers !

Le vent s'enfuit dans les ormeaux,
Et pressant les feuillus rameaux
Abat le reste de la nue ;
Iris a perdu ses couleurs ;
L'air n'a plus d'ombre, ni de pleurs ;
La bergère aux champs revenue,
Mouillant sa jambe toute nue,
Foule les herbes et les fleurs.

Ces longues pluies dont l'hiver
Empêchait Tircis d'arriver
Ne seront plus continuées,
L'orage ne fait plus de bruit,
La clarté dissipe la nuit,
Ses noirceurs sont diminuées,
Le vent emporte les nuées,
Et voilà le soleil qui luit.

Mon Dieu, que le soleil est beau !
Que les froides nuits du tombeau
Font d'outrages à la nature !
La mort grosse de déplaisirs,
De ténèbres et de soupirs,
D'os, de vers et de pourriture,
Étouffe dans la sépulture
Et nos forces et nos désirs.

Chez elle les géants sont nains,
Les Mores et les Africains
Sont aussi glacés que le Scythe,
Les dieux y tirent l'aviron,
César comme le bûcheron,
Attendant que l'on ressuscite,
Tous les jours au bord du Cocyte
Se trouve au lever de Charon.

Tircis, vous y viendrez un jour ;
Alors les Grâces et l'Amour
Vous quitteront sur le passage,
Et dedans ces royaumes vains,
Effacé du rang des humains,
Sans mouvement et sans visage,
Vous ne trouverez plus l'usage
Ni de vos yeux ni de vos mains.

Votre père est enseveli,
Et dans les noirs flots de l'oubli
Où la Parque l'a fait descendre,
Il ne sait rien de votre ennui,
Et ne fût-il mort qu'aujourd'hui,
Puisqu'il n'est plus qu'os et que cendre,
Il est aussi mort qu'Alexandre
Et vous touche aussi peu que lui.

Saturne n'a plus ses maisons,
Ni ses ailes, ni ses saisons :
Les destins en ont fait une ombre ;
Ce grand Mars n'est-il pas détruit ?
Ses faits ne sont qu'un peu de bruit.
Jupiter n'est plus qu'un feu sombre
Qui se cache parmi le nombre
Des petits flambeaux de la nuit.

Le cours des ruisselets errants,
La fière chute des torrents,
Les rivières, les eaux salées,
Perdront et bruit et mouvement ;
Le soleil insensiblement
Les ayant toutes avalées,
Dedans les voûtes étoilées
Transportera leur élément.

Le sable, le poisson, les flots,
Le navire, les matelots,
Tritons et Nymphes et Neptune
À la fin se verront perclus ;
Sur leur dos ne se fera plus
Rouler le char de la Fortune,
Et l'influence de la lune
Abandonnera le reflux.

Les planètes s'arrêteront,
Les éléments se mêleront
En cette admirable structure
Dont le ciel nous laisse jouir.
Ce qu'on voit, ce qu'on peut ouïr,
Passera comme une peinture :
L'impuissance de la nature
Laissera tout évanouir.

Celui qui formant le soleil
Arracha d'un profond sommeil
L'air et le feu, la terre et l'onde,
Renversera d'un coup de main
La demeure du genre humain
Et la base où le ciel se fonde :
Et ce grand désordre du monde
Peut-être arrivera demain.

Rate this poem: 

Reviews

No reviews yet.