Deux centieme anniversaire de l'arrivee de Mgr de Montmorency-Laval en Canada

O Canada, plus beau qu'un rayon de l'aurore,
Te souvient-il des jours où, tout couvert encore
Du manteau verdoyant de tes vieilles forêts,
Tu gardais pour toi seul ton fleuve gigantesque,
Tes lacs plus grands que ceux du poème dantesque
Et tes monts dont le ciel couronne les sommets ?

Te souvient-il des jours où, mirant dans les ondes
Le feuillage orgueilleux de leurs branches fécondes,
Tes immenses sapins saluaient ton réveil ?
Où déployant les dons de la grande nature,
Tu montrais, reposant sur un lit de verdure,
Ta sauvage grandeur aux rayons du soleil ?

Te souvient-il des jours où l'écho des montagnes
Chantait, comme un clairon, au milieu des campagnes,
L'hymne de l'Iroquois scalpant ses ennemis ?
Où tes vieux héros morts, assemblés sur les grèves,
Venaient, pendant la nuit, illuminer les rêves
De tes sombres guerriers sur la rive endormis ?

Te souvient-il des jours où, passant dans l'orage,
Les dieux de tes forêts portés sur un nuage,
De leurs longs cris de guerre enivrant tes enfants,
Leur montraient dans la mort une vie immortelle,
Où leur âme suivrait une chasse éternelle
D'énormes caribous et d'orignaux géants ?

Un jour, troublant le cours de tes ondes limpides,
Des hommes étrangers, sur leurs vaisseaux rapides,
Vinrent poser leur tente au pied de tes grands bois.
Ils pliaient les genoux en touchant ton rivage ;
Puis, au maître du ciel adressant leur hommage,
Plantaient un drapeau blanc à côté d'une croix.

Et prenant ce drapeau, ces hommes au teint pâle
Portèrent les rayons de sa couleur d'opale
Jusqu'aux bords sablonneux du vieux Meschacébé
Et devant cette croix, qui brillait dans tes ombres,
Tu vis tes dieux vaincus pleurer sur les décombres
Amoncelés autour de leur autel tombé !

Te souvient-il des jours où, prêtres et victimes,
Les fils de Loyola, ces apôtres sublimes,
Fécondant de leur sang ton sol régénéré,
Rappelaient de la croix les splendeurs primitives ;
Et, d'un martyre affreux sanctifiant tes rives,
Laissaient à tes enfants leur souvenir sacré ?

Pourquoi donc tous ces cris de bonheur et de fête ?
Tes guerriers, apportant les fruits de la conquête,
Rentrent-ils dans tes murs, jeune Stadacona ?
L'Iroquois, terrassé par la valeur huronne,
A-t-il laissé tomber la terrible couronne
Qu'au sein de la bataille Areskoui lui donna ?

L'Iroquois n'a pas vu de sa main affaiblie
Tomber le tomahawk ; dans son âme remplie
Des farouches instincts légués par ses aïeux,
La peur n'a pas encor pu trouver une place.
De l'étendard français il brave la menace
Et garde fièrement et sa gloire et ses dieux.

Ce n'est pas un héros illustre dans l'histoire
Qui vient, tout rayonnant des feux de la victoire,
Déposer à Québec son glaive triomphant,
Celui vers qui s'élève, en ce jour d'allégresse,
Ce concert solennel de joie et de tendresse,
Est un homme encor jeune, au regard bienveillant.

Le signe rédempteur qui brille à sa poitrine
Annonce à tous les yeux sa mission divine.
Il s'en vient commander les soldats du Seigneur
Dans les vastes forêts où domine la France ;
Et sans craindre jamais l'obstacle ou la souffrance,
Il s'avance où l'appelle une pieuse ardeur.

De cet amour divin qui dévore son âme
Partout il fait briller la bienfaisante flamme ;
Sa sainte voix, troublant le silence éternel
Des grands bois canadiens, fait surgir dans les nues
Ces clochers rayonnants dont les flèches aiguës
Au sauvage étonné montrent du doigt le ciel.

Affrontant les dangers des vagues mugissantes,
On le voit ranimer les églises naissantes
Qui s'élèvent aux bords du Saguenay lointain ;
Comme un soleil ardent répandant sa lumière,
En passant il console et la pauvre chaumière
Et le grand chef huron pleurant sur son destin.

Quand Mésy, d'Avaugour, abusant de leur force,
Osent donner appui, sous la hutte d'écorce,
Au trafic infamant de la liqueur de feu,
Intrépide gardien de la morale austère,
Il sait faire gronder, sans craindre leur colère,
Sur leurs coupables fronts les foudres de son Dieu.

Des bords gaspésiens au lac des Deux-Montagnes,
Quand il a fait briller ces trois saintes compagnes,
La douce Charité, l'Espérance et la Foi,
Comme un vainqueur chargé des dépouilles opimes,
Il montre cent tribus, ô conquêtes sublimes !
Qui des leçons du Christ reconnaissent la loi.

Mais bientôt s'arrêtant au milieu de sa course,
Des saints enseignements il vient ouvrir la source,
Et fonde la maison, ce foyer immortel,
Qui verse encor sur nous ses torrents de lumière ;
Où, des saintes vertus suivant la règle austère,
On apprend à servir la patrie et l'autel.

Ce fruit de ses travaux, cet objet de sa joie,
Deux fois un feu cruel le saisit pour sa proie.
Ce malheur, qui le frappe au plus profond du coeur,
Ne peut faire fléchir son courage indomptable :
De ces débris fumants, un monument durable
S'élève sous sa main, rayonnant de splendeur.

Deux siècles sont passés sur cet illustre asile,
Deux siècles sont passés, et toujours immobile
Comme un roc au milieu des vagues en fureur,
Il a vu s'élever, grandissant sous son ombre,
Ces temples du vrai Dieu, ces collèges sans nombre
Qui sont de la patrie et la force et l'honneur.

Mais déjà ce héros voit sa force tarie
Dans ses nombreux combats où s'épuise sa vie.
Donnant à Saint-Valier son glorieux fardeau,
Il s'en va reposer les jours de sa vieillesse
Dans ce paisible asile, objet de sa tendresse,
Où son coeur se prépare à la paix du tombeau.

Et quand la mort parut au sein de sa retraite,
Elle n'eut qu'à cueillir cette fleur toute prête
Pour les jardins bénis du séjour éternel.
Et sur les bords heureux où son nom brille encore,
Les chênes attristés, dans la forêt sonore,
Chantèrent ses vertus aux archanges du ciel.
Envoi à messieurs du séminaire de Québec.

Ce grand homme, messieurs, cette gloire sereine,
Fut le premier anneau de cette noble chaîne
Que vous continuez aux bords du Saint-Laurent.
Gardant, comme un trésor, loin de toutes atteintes
De l'immortel Laval les traditions saintes,
Vous êtes, parmi nous, un soleil bienfaisant.

Du peu que nous savons vous êtes l'origine
Si nous pouvons encore à la source divine,
D'où s'échappe à grands flots l'enseignement humain,
Approcher quelquefois nos lèvres altérées,
Nous le devons à vous, dont les mains vénérées
Nous ont de la science aplani le chemin.

Si nous avons gardé, pur de tout alliage,
Des pionniers français l'héroïque héritage,
Notre religion, notre langue et nos lois ;
Si, dans les mauvais jours de notre jeune histoire,
Nous avons, avec nous, vu marcher la victoire,
Nous vous devons encor ces glorieux exploits.

Si, du séjour céleste où son âme immortelle
S'enivre des clartés de la vie éternelle,
Laval peut contempler ces murs resplendissants,
Où, lançant tous ses feux, l'intelligence humaine,
Des travaux de l'esprit embrassant le domaine,
Fait briller des rayons sans cesse renaissants :

S'il a vu comme nous vos nobles sacrifices,
Les arts encouragés par vos mains bienfaitrices ;
S'il entend aujourd'hui ces hymnes triomphants
Qui chantent votre nom dans ce concert immense
Que fait monter au ciel notre reconnaissance,
Il doit dire de vous : Ils sont bien mes enfants !

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