La basse-cour

Dans une basse-cour vivait en république
Une foule d'oiseaux de plumages divers.
J'admirais leur destin, leur humeur pacifique.

« Ils n'ont, disais-je en moi, ni vices ni travers.
Les besoins de l'État, sa gloire ou ses revers,
N'échauffent point leur bile politique.
Ils paîront, il est vrai, l'impôt du cuisinier:
Chaque peuple a son fisc, ses commis et sa taille.
Mais le bonheur de la volaille
Est de ne pas savoir qu'elle ait rien à payer.
Sans soin du lendemain, et surtout sans envie,
En liberté chacun cherche sa vie.

L'amour seul quelquefois y produit des débats;
Et la cause en est trop jolie
Pour que notre raison ne les excuse pas. »

Tandis qu'à ces pensers je me livrais tout bas,
La fermière paraît, et toute la famille,
Accourant à ses cris d'un et d'autre côté,
Se jette avec avidité
Sur le grain qu'à ses pieds la maîtresse éparpille.
Quel changement, ô ciel! quel appétit glouton !
Quel tumulte confus ! On se bat, on se pille.
La poule à coups de bec repousse le pigeon :
Le canard à la poule enlève une becquée;
La pintade plus loin dérobe le chapon,
Et par l'imbécile dindon
Elle voit à son tour sa pitance escroquée.
Plus orgueilleux, plus fort, et surtout plus gourmand,
De la queue et du bec se faisant faire place,
Le paon au milieu d'eux occupe un large espace,
Vit aux dépens de tous, et, toujours mécontent,
Il les insulte et les menace.
Soyons justes pourtant, même envers les oiseaux:
De ses jeunes poussins une mère entourée
Les nourrit, les défend du bec de leurs rivaux,
Et ne prend qu'après eux sa part de la curée.
Mais le reste à l'envi s'arrache les morceaux,
Tandis que, sur les toits, piaulant de jalousie,
Un essaim de pauvres moineaux
Attend, pour s'approcher, que leur faim assouvie
De leur dîner lui laisse une partie.

« Par ma foi! m'écriai-je, ils sont dignes de nous.
La basse-cour est comme l'autre.
Le monde volatile est l'image du nôtre;
L'intérêt n'y connaît de frère ni d'époux.
Prêtre, noble, robin, bourgeois ou militaire,
Tout animal qui mange est rapace et jaloux.
Un peu de grain, d'or ou de terre,
Est partout un sujet de guerre,
Et la force est le droit de tous. »

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