A Madame Denis

L'art n'y fait rien; les beaux noms, les beaux lieux
Très rarement nous donnent le bien-être.
Est-on heureux, hélas! pour le paraître,
Et suffit-il d'en imposer aux yeux?

J'ai vu jadis l'abbesse de la Joie,
Malgré ce titre, à la douleur en proie;
Dans Sans-Souci certain roi renommé
Fut de soucis quelquefois consumé.

Il n'en est pas ainsi de mes retraites;
Loin des chagrins, loin de l'ambition,
De mes plaisirs elles portent le nom:
Vous le savez, car c'est vous qui les faites.

Au Président Henault, en Lui Envoyant le Manuscrit de Mérope

Lorsqu'à la ville un solitaire envoie
Des fruits nouveaux, honneur de ses jardins,
Nés sous ses yeux et plantés de ses mains,
Il les croit bons, et prétend qu'on le croie.

Quand, par le don de son portrait flatté,
La Jeune Aminte à ses lois vous engage,
Elle ressemble à la divinité
Qui veut vous faire adorer son image.

Quand un auteur de son œuvre entôté
Modestement vous en fait une offrande,
Que veut de vous sa fausse humilité?
C'est de l'encens que son orgueil demande.

Las! je suis loin de tant de vanité.

A une Dame ou Soi-Disant Telle

Tu commences par me louer,
Tu veux finir par me connaître.
Tu me louras bien moins; mais il faut t'avouer
Ce que je suis, ce que je voudrais être.
J'aurai vu dans trois ans passer quarante hivers;
Apollon présidait au jour qui m'a vu naître;
Au sortir du berceau j'ai bégayé des vers;
Bientôt ce dieu puissant in ouvrit son sanctuaire;
Mon cœur, vaincu par lui, se rangea sous sa loi.
D'autres ont fait des vers par le desir d'en faire;
Je fus poëte malgré moi.
Tous les goûts à la fois sont entrés dans mon ame;

L'Air

Dans l'Air s'en vont les ailes,
Par le vent caressées;
Mes errantes pensées
S'envolent avec elles.

Aux cieux pleins d'étincelles,
Vers la nue élancées,
Dans l'Air s'en vont les ailes,
Par le vent caressées.

Vers des terres nouvelles,
Sur les rayons bercées,
Vous fuyez, dispersées,
O blanches colombelles;
Dans l'Air s'en vont les ailes!

Pères, Les

Riant à la dent qui le mord,
Plein d'une joie ardente et sûre,
Un jeune franc-tireur est mort,
Ces jours derniers, de sa blessure.

Nulle terreur sur son chevet
Ne secona l'ombre morose
De son aile noire. Il avait
Seize ans, et sa joue était rose.

Seize ans! doux âge filé d'or!
Éclat de l'aurore première
Où sur nos fronts on voit encor
Flotter des cheveux de lumière!

Quand la Mort, hélas! triomphant,
Eut rendu jaunes comme un cierge
Le front mâle de cet enfant
Et ses lèvres de jeune vierge,

A Coridon

La mesdisante ne fault croyre,
Corydon, Amy gracieux;
Ja la congnoys, c'est une noyre,
Noyre faicte en despit des cieulx:
Si elle eust (pour la paindre mieulx)
Au bec une prune saulvage,
On diroit, qu'elle auroit troys yeulx,
Ou bien troys prunes au visage.

Sculpteur, Cherche avec Soin

Sculpteur, cherche avec soin, en attendant l'extase,
Un marbre sans défaut pour en faire un beau vase;
Cherche longtemps sa forme et n'y retrace pas
D'amours mystérieux ni de divins combats.
Pas d'Héraklès vainqueur du monstre de Némée,
Ni de Cypris naissant sur la mer embaumée;
Pas de Titans vaincus dans leurs rébellions,
Ni de riant Bacchos attelant les lions
Avec un frein tressé de pampres et de vignes;
Pas de Léda jouant dans la troupe des cygnes
Sous l'ombre des lauriers en fleurs, ni d'Artémis

Nous savions tout cela avant ta venue tendre

Nous savions tout cela avant ta venue tendre,
doux printemps infini.
Car rien qu'à deviner: un bonheur est à vendre
déjà on donne le prix.

Déjà, mon Dieu, déjà, la vie se précipite
vers cet abîme de vie.
Et cet écart déjà de la parole dite
qui déjà nous renie…

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